TRÉSORS DE LAQUE - Catherine Nicolas - article LA GAZETTE DROUOT N° 10DU 9 MARS 2018 -

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TRÉSORS DE LAQUE, ENTRE HÉRITAGE ET CRÉATION, CATHERINE NICOLAS ADAPTE LES TECHNIQUES ANCESTRALES DES MAÎTRES ASIATIQUES EN Y APPORTANT SA SENSIBILITÉ PERSONNELLE.
L’OR SE MÊLE AUX SUBTILS EFFETS DE MATIÈRES DANS SES ŒUVRES DÉLICATES.
Par SOPHIE REYSSAT.

Catherine Nicolas n’a pas opté pour la facilité en choisissant la laque : à la fois matériau et savoir-faire, utilisée depuis plus de huit mille ans en Asie, elle décline en effet à l’infini les techniques employées pour la travailler, comme les types de matériaux sur lesquels elle est appliquée. Au fils des siècles, les laqueurs ont ainsi emprunté des procédés à d’autres corps de métiers pour la graver ou la façonner en relief, l’incruster de nacre ou de couleurs, ou encore l’associer aux métaux. « En une vie, on ne touchera jamais tout. Il suffit qu’on change une toute petite chose pour que le résultat soit totalement différent », souligne Catherine Nicolas, qui a choisi de jouer sur les contrastes de matières, créés par la rencontre entre la précieuse résine et d’autres matériaux plus bruts.

Leur dialogue ne va pas nécessairement de soi et demande une patiente élaboration. Ainsi lui a-t-il fallu un an de travail pour donner l’illusion du geste instantané dans une œuvre associant laque et ferronnerie d’art. En insufflant sa personnalité dans son travail – contrairement à la tradition japonaise voulant que la main de l’artisan disparaisse au profit de la perfection de l’œuvre –, Catherine Nicolas opte pour une démarche plus contemporaine, en adaptant la tradition de la laque végétale à la culture occidentale et créer son propre langage. Elle s’appuie pour cela sur un savoir ancestral qu’elle est allée chercher à la source, l’École supérieure des arts appliqués Duperré ne lui ayant fait connaître que la laque au pistolet. Témoignant de l’importance de son périple initiatique en Asie, un arbre à laque Rhus vernicifera, offert par un maître japonais, accueille aujourd’hui les visiteurs à son portail.

KINTSUGI PERSONNALISÉ

Bien que la laqueuse estime impossible d’arriver à la cheville des artisans asiatiques, elle a obtenu la reconnaissance de ses pairs japonais – qui lui ont décerné le Prix spécial de l’Ishikawa International Design Competition en 2000 –, et français, en décrochant le titre de Meilleur ouvrier de France en 2004. Ayant rejoint l’association d’excellence des Grands Ateliers de France, elle fait passer dans ses œuvres sa passion pour le travail complexe de la laque végétale, encore largement méconnu en France. On lui a même demandé si ses objets inspirés de la cérémonie du thé passaient au lave-vaisselle… Un jour où elle poursuivait ses recherches au musée Guimet, Catherine Nicolas est tombée en arrêt devant un pot à eau, cassé et réparé à l’époque Edo, grâce à la technique du kintsugi, signifiant «jointure or». Celle-ci utilise la résine végétale pour son grand pouvoir collant, sa résistance à la chaleur et son imperméabilité. Cet objet tout en simplicité de l’art du thé l’a conquise, autant par le principe de seconde vie accordée, conformément à la philosophie zen, que par la technique l’ayant magnifié en soulignant d’or ses accidents de parcours. Son regard en a été changé. Reprenant le kintsugi à son compte, à la demande du céramiste Yoland Cazenove, elle expérimente le pro-cédé en 2000 à partir de tessons. L’exposition des pièces réalisées est une révélation. «Plus c’est cassé, plus c’est beau », s’émerveille Catherine Nicolas, qui renchérit en ces termes : « Tout a une seconde chance, un défaut peut devenir une qualité.»

« QUAND ON COMMENCE À TRAVAILLER LA LAQUE, IL FAUT ABSOLUMENT SAVOIR OÙ L'ON DOIT ALLER »

UNE PALETTE DE SAVOIR-FAIRE

Elle développe dès lors sa collaboration avec des céramistes français et européens, recréant les pieds d’une œuvre ayant eu un accident de chauffe pour l’un, créant un bouchon pour un autre, sublimant ailleurs des cassures survenues à la cuisson. Elle conforte sa technique à la suite de sa rencontre avec un maître laqueur japonais pratiquant le kintsugi, la résine n’étant pas toujours utilisée brute, mais pouvant faire l’objet de subtils mélanges. L’as-sociation avec le métal précieux, utilisé au Japon pour les objets de la cérémonie du thé, l’intéresse tout particulièrement : «L’or m’a fascinée car on peut le travailler de maintes façons et il va avec tout. J’en mets de plus en plus partout», avoue-t-elle dans un sourire. Elle peut s’affranchir ainsi des codes traditionnels pour les pots à thé, à eau ou à poudre qu’elle réalise. Une feuille placée sous la laque fait varier ses couleurs, tandis que la poudre d’or, dont les différentes tailles de grains permettent de multiples effets, crée des irisations. L’aspect vieil or est également séduisant, le clinquant du métal s’effaçant au profit d’une texture veloutée. L’or peut encore être associé à l’argent, dont l’oxydation permet d’obtenir un effet moiré. Sensibles au rapport émotionnel que Catherine Nicolas entretient avec les objets, de nombreux collectionneurs s’adressent à elle pour intervenir sur leurs céramiques, parfois maltraitées par des vernis, ou dont les cassures ont été élargies à la meuleuse pour recoller les morceaux plus aisément. Autant d’hérésies qu’elle corrige en s’adaptant aux désirs de ses clients, tout en restant fidèle à son ressenti. Elle vient ainsi d’achever une restauration en relief sur un vase de Jean-Joseph Carriès, réalisant – exclusivement sur sa partie endommagée – une coulure de laque s’harmonisant avec l’œuvre. Contrairement aux réparations se voulant habituellement invisibles, une telle restauration n’est pas neutre et s’apparente à de la création. Pour celle-ci, Catherine Nicolas ne manque pas d’idées. Si la profession de laqueur est habituellement segmentée en fonction des typologies d’objets, du médium et des techniques, elle a choisi au contraire la polyvalence, adaptant sa pratique aux petits bijoux comme aux monumentales pièces murales. Son savoir-faire lui permet aussi bien de pratiquer des restaurations traditionnelles sur du mobilier en laque du XVIIIe siècle, des casques de samouraïs, des sabres en samenuri – galuchat laqué – et d’autres objets précieux comme les inrô, que d’imaginer des œuvres contemporaines. «Plus on a de technique, plus on a de possibilité de créer», précise l’artiste. Fantaisie et rigueur se mêlent dans son travail, la vingtaine de couches nécessaires pour ses laques l’obligeant à inverser sa façon de réfléchir et à penser en trois dimensions : «Plus on superpose, plus on pense par rapport à ce qui a été mis en dessous.» Une tâche d’autant plus délicate que «la laque végétale ne supporte ni l’à-peu-près, ni le repentir». Donner une impression de spontanéité à une œuvre dont les étapes de réalisation doivent être planifiées est une gageure brillamment relevée par Catherine Nicolas. Elle prévoit jusqu’aux défauts volontaires, destinés à faire vivre la matière, laissant par exemple les pores du bois transparaître par endroits sous ses couches de laque. Aucun défi ne l’arrête, comme en témoignent ses délicats os de seiche, un support fragile s’il en est, sublimés par un arc-en-ciel de laque leur conférant une indéniable poésie.

À SAVOIR
Le travail de Catherine Nicolas est à découvrir sur le site des Grands Ateliers de France : Lien

À LIRE

Secrets d’ateliers. Les laques, Catherine Nicolas et Fabienne Gambrelle, Solar, 2006, 120 pages.

LA GAZETTE DROUOT N° 10 DU 9 MARS 2018